(Extrait du Cahier du District d’août 1993 de Jean-Claude CARNOYE)
1 – L’Agriculture :
Lorsque l’on regarde les anciens cadastres des communes, avant les remembrements, on est frappé par le découpage qui paraît maintenant presque insensé, mais qui s’explique très bien. Les terroirs avaient une structure auréolée. Contrairement à beaucoup de régions françaises ou européennes, où autrefois les propriétés étaient très bien délimitées, parfois closes. L’usage de la « vaine pâture » nécessitait des champs ouverts et un assolement forcé. Il y avait, d’abord, entrelacé entre les maisons du village, le jardin soigneusement enclos. Il approvisionnait la famille en nourriture. C’était parfois aussi une terre d’expérience. Au-delà du village, se trouvaient les parcelles soumises à une « contrainte de sole« . Les terroirs étaient découpés en quartiers selon des formes fixées par les chemins de dessertes. Tous les champs d’un même quartier, identifiés par un lieu-dit, portaient successivement le froment, l’avoine, l’orge, le sarrasin, le seigle ou la jachère.
Plus loin, on avait les marais, les landes ou les savarts. Ainsi, le troupeau communal pouvait-il se déplacer sans ambages et sans dommages pour les cultures. L’usage de parcours, et de la « vaine pâture », entraînait l’assolement forcé, l’interdiction de clore et de « dessoler ».
Cela dura jusqu’au XXème siècle. Les « petits » ne furent pas les seuls bénéficiaires, certains propriétaires de gros troupeaux y étaient attachés. Un édit royal de 1769 supprima, en Champagne, le droit de parcours et restreignit le droit de « vaine pâture », mais ceux-ci restèrent d’usage, en fait, pour les raisons citées précédemment. Tout le monde y trouvait son compte. Autrefois, la plupart des cultures étaient céréalières (parfois du chanvre). Au XIXème siècle, apparaissent les prairies artificielles, après Napoléon apparaît la pomme de terre et très lentement la betterave fourragère (88 ha dans la Marne en 1840), puis la betterave à sucre (1070 ha dans la Marne en 1862).
En 1774, la répartition dans les communes du district de Gueux était la suivante (surfaces données en arpents, l’arpent valant en Champagne environ 1/2 ha à peine ).
- Terres labourables : 14500 arpents ;
- Vignes : 4000 ;
- Bois : 3750 ;
- Savarts : 1800 ;
- Terres à usages : 700 ;
- Chevaux : 850 ;
- Bêtes à cornes : 1700 ;
- Bêtes à laine : 8000
La proportion entre les surfaces de terres à vignes et les surfaces de terres à cultures, est semblable entre 1774 et 1993, les villages aux vignobles importants sont les mêmes :
- Chamery : 342 arpents ;
- Ecueil : 219 ;
- Jouy : 208 ;
- Les Mesneux: 227 ;
- Pargny: 208 ;
- Sacy : 391 ;
- Sermiers : 390 ;
- Trigny : 318 ;
- Villedommange : 390 ;
- Vrigny : 25
Certains villages avaient des vignobles plus importants (Gueux, Rosnay). A l’opposé, Champigny n’avait pas de vignes recensées, Muizon et Thillois seulement 20 arpents (mais plus qu’à Aubilly : 10). A cette époque, on cultivait essentiellement du blé (8 à 30 %), du seigle (20 à 40 %) de l’orge (3 à 13 %), de l’avoine (30 à 40 %), du sarrasin (1 à 2 %), mais les rendements étaient faibles : 4 à 5 quintaux à l’ha. Ceci peut sembler ridicule comparé aux rendements actuels : 80 quintaux à l’ha, et même parfois plus.
On note alors trois obstacles au développement de la partie agricole : le mélange des terres en très petites parcelles, le droit de « vaine pâture », la médiocrité de fortune des propriétaires ou la pauvreté des « laboureurs » qui ne peuvent pas « investir », pour utiliser le langage actuel.
Actuellement, les communes du district de Gueux présentent des paysages variés avec des zones qui se prêtent à la grande culture dans la plaine, des zones qui se prêtent à la viticulture, des zones formées de dépressions humides et verdoyantes, des zones qui ont conservé une couverture boisée dense.
En gros, on trouve :
- 7000 ha de cultures ;
- 3700 ha de bois ;
- 1350 ha de vignes ;
- Plus des prairies, des landes, des jardins, des parcs.
Mais la répartition n’est pas uniforme. Trois villages n’ont pas de vignes (Champigny, Thillois, Muizon). Thillois a pratiquement tout son terroir en terres agricoles, Sermiers a 1200 ha de bois, Chamery 170 ha de vignes, Villedommange 150 ha de vignes, pour 30 ha de terres et 30 ha de bois.
Autrefois, les villages avaient certainement des exploitations équilibrées, soit entre l’élevage sous différentes formes (bovins, ovins, porcins), l’agriculture ou le maraîchage à cause de la proximité de la ville, soit entre l’agriculture et la viticulture, voire entre les trois formes à la fois.
A présent, l’élevage a presque disparu. Il reste des troupeaux de bovins à Branscourt, Courcelles, Méry-Prémecy, Sermiers, Champigny, des chevaux de course à Courcelles-Sapicourt, ou d’agrément dans beaucoup de villages. Le mouton et le porc ont pratiquement disparu. A côté des exploitations de grande culture, on trouve des exploitations plus petites.
Les productions essentielles sont le blé d’hiver, l’escourgeon, l’orge, le maïs-grain, la betterave industrielle, le pois sec, le colza et la luzerne à déshydrater. Mais on trouve aussi des cultures maraîchères (pommes de terre de consommation courante, oignons, asperges, légumes divers, endives, fraises et aussi fleurs ou tabac).
Les exploitations petites et grandes se sont amarrées au développement moderne de la culture champenoise, modèle productiviste particulier. Dans beaucoup de villages, existent des viticulteurs et pas mal d’exploitations mixtes, la viticulture ayant dans ce cas préservé l’agriculture, et il arrive encore de voir le cultivateur, vigneron, maraîcher, « faire du bois » l’hiver.
Au cours des siècles, le commerce des graines s’effectuait à Reims, qui possédait un marché important. Les coopératives ont pris le relais. Elles ont pour rôle de stocker et de commercialiser les graines. Elles trouvent leur origine dans le syndicalisme agricole. Auparavant, il existait deux formes de coopération : l’une était constituée de catholiques pratiquants que l’on pourrait peut-être qualifier de droite pour l’époque avec la Providence Agricole, l’autre constituée de catholiques non pratiquants avec la CAAR (Coopérative Agricole de l’Arrondissement de Reims), chaque coopérative ayant ses silos. Aujourd’hui, cette distinction est heureusement dépassée. Les lieux de stockage en silos pour les agriculteurs des communes du district sont Muizon, Jonchery/Vesle, Les Mesneux, Serzy et Ville-en-Tardenois. Signalons que la collecte des grains est aussi effectuée, en moins grande quantité, par des maisons privées ayant maintenant leurs propres silos.
Les productions betteravières sont écoulées, soit par l’appareil d’un grand groupe privé, soit par l’appareil de la coopération. La luzerne à déshydrater est traitée par des entreprises spécialisées à l’extérieur du district.
En 1865 Romieu écrivait : « De toutes les innovations dans l’agriculture moderne, la suppression de la jachère est celle qui reste la plus fortement rejetée par nos paysans. Ils s’attachent à l’idée que toute chose a besoin de repos, les bêtes, les hommes, pourquoi en serait-il autrement pour la terre ? « . C’était naturel. Aujourd’hui, pour des raisons artificielles, politiques, financières… on les force à retourner à la jachère.
2 – La vigne :
Le travail de la vigne est ancien dans nos communes. Au 1er siècle, Pline faisait l’éloge du vin de la Gaule et en particulier celui de « la campagne de Reims ». Officiellement en 92, l’Empereur Domitien ordonna d’arracher les vignes qui furent de nouveau autorisées en 280, mais si des vignerons purent travailler aussitôt, c’est que la tradition s’était perpétuée, malgré les interdits. Le vignoble prit une expansion avec le développement du Christianisme. La Champagne, et donc notre région, fut l’une des premières à être évangélisée en France. L’Evêque de Reims, qu’a-t-il fait alors ?
Il fit installer les premières cures dans les lieux de peuplement existant où furent plantés les premiers ceps qui devaient fournir le vin de messe. « A côté de la modeste église de bois ou de pisé, le clos du vin et le clos de la mort ».
Avec une église, une vigne et un cimetière, le village apparaissait. Les villages du district de Gueux prirent leur forme vraisemblablement ainsi, et une telle situation présenta une importance énorme pour l’avenir de la vigne et des villages, même si aujourd’hui dans certains d’entre eux il n’y a plus de vignes. Le vin blanc a fait la richesse de nos villages, car très vite « tout vin ne fût plus de messe uniquement ».
Le rôle des foires et du commerce avec le peuple de Belgique, des Pays-Bas, de la Vallée du Rhin et de l’Angleterre fut important. Beaucoup de villages produisaient du vin blanc qui était envoyé dans ces pays : Villedommange, Ecueil, Rosnay.. en envoyaient à Paris par voie d’eau par Berry-au-Bac et la rivière de l’Aisne (Ce fut une des raisons pour laquelle une étude avait été faite pour rendre la Vesle navigable, ce qui aurait raccourci les transports).
La viticulture eut donc des périodes fastes au Moyen-Age, avant l’apparition du Champagne. Le XVIII ème et le XIX ème siècle furent de grandes époques pour le vignoble. Vinrent les années 1900 avec les problèmes bien connus et le déclin de la vigne dans beaucoup de villages.
Si les grandes maisons de champagne ont été un moteur, l’apparition des coopératives a permis aux villages de se revitaliser dans tous les sens du terme.
Très tôt, l’établissement de ces coopératives a été préconisé. On en parle peu dans la littérature sur le champagne, mais leur installation et leur développement ont été essentiels pour nos communes.
« Il est possible de définir le mouvement de la coopération comme étant un instrument créé dans le cadre d’un idéal mutualiste, pour offrir à la moyenne et petite propriété de type familial, des conditions d’exploitation qu’elle ne pouvait à elle seule s’offrir, tout en lui permettant de survivre face aux crises successives ».
Le phénomène du regroupement des petits viticulteurs entraînait par lui-même une amélioration de leur position économique (et donc celle de la collectivité). « La viticulture en coopérative était plus apte à utiliser le triptyque d’organisation du marché mis en place : assainissement, échelonnement, financement ». Elle permet aussi l’ébauche d’un pouvoir de discussion commercial.
Les coopératives de production sont citées dans l’ordre chronologique :
- la coopérative d’Ecueil en 1948, 68 adhérents 120 ha ;
- Villedommange en 1951, 155 adhérents 189 ha ;
- Chamery en 1952, 136 adhérents 178 ha ;
- Jouy, Pargny en 1953, 73 adhérents 109 ha ;
- Trigny en 1953, 136 adhérents 178 ha (180-187) ;
- Sacy en 1960, 101 adhérents 95 ha (113-90) ;
- Nogent, Sermiers en 1960, 121 adhérents 102 ha ;
- Coulommes, Vrigny en 1960, 104 adhérents 102 ha ;
- Courmas, Bouilly, St-Euphraise en 1961, 75 adhérents 63 ha ;
- Janvry, Germigny, Rosnay en 1965, 135 adhérents 110 ha.
(Le nombre d’adhérents et d’hectares peut avoir changé récemment, les ordres de grandeurs sont à considérer).
Ces coopératives ont une place dominante dans les villages, leur service s’adresse à 75 % du vignoble, elles sont toutes équipées de matériels modernes tant en pressoirs qu’en cuveries et équipements spéciaux. En plus, pour la vente du Champagne, il existe la Société Coopérative Rurale Vinicole de Champagnisation de Villedommange. Créée en 1951 avec 18 adhérents. La coopérative de Janvry, Germigny, Rosnay, commercialise sous plusieurs marques, la SARL constituée ayant trois points de vente.
(1) Le district de Gueux s’est maintenant transformé en Communauté de Communes dénommée : « Communauté de Communes Champagne Vesle ». Elle est composée des communes suivantes : AUBILLY, BOUILLY, BOULEUSE, BRANSCOURT, CHALONS-SUR-VESLE, CHAMERY, CHENAY, COULOMMES-LA-MONTAGNE, COURCELLES-SAPICOURT, COURMAS, COURTAGNON, ECUEIL, FAVEROLLES ET COEMY, GERMIGNY, GUEUX, JANVRY, JOUY-LES-REIMS, LES MESNEUX, MERY-PREMECY, MUIZON, ORMES, PARGNY-LES-REIMS, ROSNAY, SACY, SAINTE-EUPHRAISE ET CLAIRIZET, SAVIGNY-sur-ARDRES, SERMIERS, SERZY et PRIN, THILLOIS, TRESLON, TRIGNY, VILLEDOMMANGE, VRIGNY.